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Istanbul, dernier arrêt. Interview avec Fabien Azoulay.

Fabien Azoulay vient signer son livre à Londres. Interview sur le macadam londonien.

 


« J’avais survécu, il me faudrait vivre.”

« En Turquie, j’avais perdu le contrôle de ma vie, et maintenant je ne savais plus la conduire, où la

mener et pourquoi. Désormais, j’étais assis à côté de moi-même”.

"la résilience ne nous fait pas seulement accepter l'expérience douloureuse ; elle nous transforme en quelqu'un de meilleur qu’auparavant".

 


Dernier arrêt, Istanbul. Stock. Lundi 13 mai en signature 17h30. Londres.



London Macadam : Ce témoignage vous vouliez le rapporter, à qui vous adressez-vous ?

Fabien Azoulay : J’ai commencé à écrire alors que j’étais emprisonné depuis six mois, j’ai voulu en fait témoigner et parler de mon expérience parce qu’elle me semblait tellement irréelle au moment où elle se passait et je me suis dit, peut-être qu’un jour mes écrits , mes mémoires, mon témoignage pourraient aider un détenu (qui est en prison pour une erreur judiciaire ) à relativiser, à se dire qu’il n’est pas le  seul dans  ce cas-là. Mais également le livre peut s’adresser à des détenus qui sont en prison pour des erreurs de vie commises, des mauvais choix qu’ils regrettent et les aider, à réfléchir, à se poser les bonnes questions, peut-être à se reconnecter spirituellement ou autre d’ailleurs.

Pour l’instant, le livre n’est qu’en Francais … (en tout cas plus pour très longtemps mais je ne veux pas trop en dire pour le moment). 

Tout dernièrement, je me suis entretenu d’un détenu qui est emprisonné  à la Santé depuis maintenant quatre ans  (Son fils est en attente de jugement ).  Elle m’a envoyé un message sur Facebook, en me disant que son fils avait lu mon livre en prison, que ça l’avait beaucoup aidé à tenir le coup et  à relativiser sa condition. Sa reconnaissance m’a beaucoup touché.                                                                                                          

Elle m’a demandé si son fils pouvait m’écrire, je me suis senti assez en confiance pour lui donner mon adresse et on a commencé a échanger des lettres… La première chose à laquelle j’ai  pensé après avoir lu sa lettre est que mon livre avait au moins servi à une personne.

 

 



London Macadam : Comment cela est-il arrivé ? Quand ? A quelle date ? Le déclencheur ?

Fabien Azoulay : J’ai été arrêté le 25 septembre 2017 pour avoir commandé du GBL en ligne depuis Israël.  En fait, c’est la police a livré le paquet à l’hôtel où j’allais séjourner qui s’était déguisée en agents de l’hôtel.  Une fois que j'ai récupéré mon paquet, et qu’ils m’avaient fait signer un bon de réception pour le colis, Ils ont conservé mon passeport.  J’ai ouvert le paquet en face du réceptionniste puis l’ai refermé.  Je m’apprêtais à monter dans ma chambre lorsque les 2 faux « agents de sécurité » de l’hôtel (policiers déguisés) ont brandi les menottes en disant «  police you’re under arrest »

 

London Macadam : On vous demande dans le fourgon lorsque vous êtes arrêtés si vous êtes gay et là on vous dit : « bienvenue dans votre nouvelle maison ! » Vous êtes stupéfaits.  Etiez-vous naïf alors ?

Fabien Azoulay : Alors oui en fait, il y a une grande part de naïveté.                                                                                                                                                       

Je n’ai jamais eu aucun problème avec mon homosexualité, ayant vécu 20 ans aux États-Unis où tout le monde est libre d’être qui il veut, et ce qu’il veut, sans avoir besoin de s’en excuser.            

J’avais l’impression que la Turquie était une démocratie et que je pouvais être libre de dire qui je suis, donc oui quand on m’a posé la question “est-ce que vous étes gay” j’ai répondu par l’affirmative  et j'ai réalisé plus tard  qu’ils  m’avaient posé cette question en sachant pertinemment que le GBL  était très répandu dans la communauté homosexuelle et le fait d’être français américain Gay et juif avaient contribué à ce qu’ils  me gardent “au chaud”  pour un bon moment.

 

 

London Macadam : 20 ans de prison c’est votre condamnation. Mai 2034, votre date de libération, que vous dites-vous à ce moment-là ?

Fabien Azoulay : Pendant les premiers mois de mon incarcération, vu qu’il n’y avait pas de condamnation définitive, j’ai toujours pensé que j’allais m’en sortir au dernier moment.                                                                                                       

Malheureusement, en février 2018, quand ces 20 ans de condamnation tombent (ramenés à 16 ans et 8 mois pour bon comportement pendant l’audience) mon emprisonnement prend une toute autre dimension.

En effet, je vois le 05 Mai 2034 comme date de libération, je n’y crois pas dans un premier temps, et puis ensuite l’incompréhension et la tristesse laissent la place à l’acceptation mais ça a été très  très dur, presque inconcevable de voir sur ma fiche de condamnation une telle date.    

Je me souviens encore quand j’étais  dans la cellule d’attente, juste après l’audience quand ils s’apprêtaient à me renvoyer en prison et cette fois de manière définitive ( je n’étais plus en attente de jugement mais condamné pour de bon) je me suis dit que quand je sortirai, j’aurai 56 ans et que j’aurais tout à recommencer, tout à reconstruire et je me disais que  ça allait être  perdu d’ avance car qui peut tout reconstruire, repartir de zero à 56 ans sans compter les PTSD laissés par la prison.                                                                                                                                                              

En fait je me suis dit que je n’y arriverais pas, que je ne tiendrais pas ces presque 17 ans

 

London Macadam : Vous avez eu un système de soutien formidable, un frère qui est un héros, un ange gardien, du soutien politique pour vous faire rapatrier en France, que leur dites-vous ? Finalement qu’est ce qui est important dans la vie à ce moment-là et, pour toujours ?

Fabien Azoulay : Le système de soutien que j’ai eu était  et continue d’être vraiment formidable.                                                                                                            

Je ne trouve pas assez de mots pour remercier mon frère Xavier, et mes  anges gardiens, auxquels s’est ajouté le soutien politique. Pour cela je dis merci à tout le monde.

Malheureusement dans le livre il n’a pas été assez mentionné mon avocat François Zimeray ainsi que Sophie Wiesenfeld qui m’ont vraiment "pris sous leurs ailes" alors qu’ils ne me connaissaient pas.

Sophie a rejoint ma cause sans me connaître, juste car elle croyait dur comme fer en mon innocence. C’est non seulement grâce à elle que Francois Zimeray est rentré dans la  « Dream Team » (comme ils la nommaient)

Je crois que c’est même elle qui a fait les premières interviews à la radio.

Enfin, et surtout ce sont ses enfants et elle-même qui m’ont écrit pendant que j’étais en prison et qui m’ont envoyé des dessins et des livres. Donc non seulement elle m’a aidé à sortir de prison mais son soutien allait bien au-delà.  Donc je dis merci à tout le monde pour leur investissement, car je ne serais pas là aujourd’hui pour raconter mon histoire sans leur engagement dans ma cause.

 

Auparavant, j’avais des valeurs un peu superficielles et la prison m’a donné une sacrée leçon d’humilité.                                                                   

Mes anciennes valeurs et mes priorités antérieures avaient perdu tout le sens.                                                                                                                                                             

Je me sens un peu serpent qui a mué, qui s’est débarrassé en fait d’une couche de peau.    

Je me suis complètement dégagé  de toute la superficialité et l’ego mal placé que j’avais auparavant. Je me sens beaucoup plus libre aujourd’hui dans tous les sens du terme.

 

 

London Macadam : Vous avez été agressé en prison en novembre 2019, vous dormiez avec un couteau sous l’oreiller, comment gérer cette violence, comment survivre dans cet environnement…

Fabien Azoulay : J’ai en effet été agressé en novembre 2019 et à partir de ce moment-là, j’ai commencé à dormir avec un couteau sous mon oreiller. J’essayais d’éviter la violence, les conflits et confrontations au maximum. Je suis un pacifiste de nature et je pense qu’on peut résoudre les différences d’opinions et d’idées avec le dialogue, la communication avec l’autre, mais en prison les détenus ont un tout autre modus operandi. Alors, dès que j’entendais une bagarre ou une dispute exploser, je me refugiais dans la chambre pour essayer d’entendre le moins possible les cris, les hurlements. Pour ne pas voir les coups de poing, les coups de couteaux et les tables valser… et cela alors que tous les autres prisonniers se délectaient de cette poussée de testostérone. C’était comme un spectacle, une animation qui les amusait et les stimulait.                                           Pour ma part, j’essayais de m’enfermer dans une bulle mais ce n’était pas toujours possible. Je tentais de me préserver au maximum parce que c’était trop dur pour moi qui n’avait jamais été confronté à ce genre de violence.

 

London Macadam : Vous dites : je me suis reconnecté avec la spiritualité, c’est-à-dire… ?

Fabien Azoulay : La force que j’ai déployé pour survivre dans ces conditions est une force qui me sert quotidiennement. C'est une force que je me suis créée pour ma survie et que j’ai gardée en moi. Une sorte de Philosophie qui me permet de tout relativiser et de voir les choses avec beaucoup plus de clarté Aujourd’hui, cette philosophie et cette spiritualité sont devenus un art de vivre.

 

London Macadam : Quels conseils aux jeunes aujourd’hui qui vous écoutent ?

Fabien Azoulay : Nous sommes tous, étant jeunes, confrontés à des choix et à des décisions, et il n'est pas toujours évident de trancher dans le bon sens...

Tout le monde fait des erreurs un jour ou l'autre. Écouter son intuition est d’une grande aide surtout quand on est jeune.

Donc mon conseil pour les jeunes d’aujourd’hui serait de se poser les bonnes questions avant d’agir, et donc d'écouter cette voix intérieure qui nous guide, bien que notre monde actuel ne nous le permette pas toujours.

Cette époque d'"hyperconnection" dans laquelle nous vivons exposé les jeunes et moins jeunes à des dangers qu'ils ne soupçonnent pas toujours, mais qui sont pourtant réels.

J’ai eu la « chance » d'être forcé de déconnecter de mon portable et de tous supports électroniques et c’est justement par cet éloignement forcé que je me suis reconnecté d’une toute autre manière.

Nous avons tous un jour ou l’autre à faire face à des traumatismes plus ou moins lourds.

L'important est de garder à l'esprit qu'il y a toujours la possibilité d’un après meilleur. Le tout est de continuer d'y croire.

Et c’est justement le message que je veux faire passer aujourd’hui dans mes conférences et interviews car la résilience ne nous fait pas seulement accepter l'expérience douloureuse ; elle nous transforme en quelqu'un de meilleur qu’auparavant. Au point qu’on en regrette (presque) pas les traumatismes vécus puisqu’ils sont à l’origine de ce changement.

 Et dans mon cas, je ne souhaiterais pas redevenir celui que j'étais avant mon arrestation, car je considère que cela m'a définitivement transformé en celui que je devais devenir.

 

London Macadam : Pourquoi venir à Londres avec Hexagon Society ?

Fabien Azoulay : Sophie Wiesenfeld a créé l hexagone society et s’est engagée dans de très beaux combats pour la protection des droits de l’homme et je suis honoré de venir lui rendre hommage et d’avoir la possibilité de la remercier pour les efforts fournis par son organisation et évidemment les résultats obtenus: ma libération.

Merci !

Merci !



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