Michel Hazanavicius sur le macadam pour la Plus Précieuse des marchandises. Rencontre. Et aussi Special Screening of "The Most Precious of Cargoes" Monday, 28 April.
- Admin
- Apr 18
- 8 min read
Updated: Apr 25
« Il n'y a pas de mensonge dans le dessin animé. »
« Malgré le fait que l’histoire se passe dans un environnement tragique, le film est, je crois, profondément optimiste, tourné vers la vie et vers la lumière. » Michel Hazanavicius
Michel Hazanavicius réalise un film d'animation très personnel sur la Shoah. Une adaptation sensible sur la déportation du roman de Jean-Claude Grumberg. Jean-Claude Grumberg s'est inspiré d'une histoire vraie.

London Macadam : Bonjour Michel Hazanavicius. Vous avez déclaré : « je pensais ne jamais réaliser un film sur le thème de la Shoah car j'ai une histoire personnelle avec elle, mais j'ai changé d’avis » ….
Michel Hazanavicius : Oui. J’ai finalement décidé d’aborder ce thème de la Shoah parce que c'est une autre façon d'en parler, grâce au format puisqu’il s’agit d’un film d’animation adapté d'un conte. (Écrit par Jean Claude Grimbert)
Le contexte a changé également c'est-à-dire que pendant très longtemps et jusque très récemment, c'était le temps des survivants. C'était le temps du témoignage et la parole des survivants primait sur les autres.
Les tentatives de fiction qui ont été faites n’étaient pas toujours très réussies ou pas forcément nécessaires. Aujourd'hui, la question se pose différemment parce qu'il y a de moins en moins de survivants. C’était vraiment des enfants à l'époque de la guerre donc le témoignage par la force des choses disparaît et la question de la représentation se pose. Donc que la fiction s'intéresse ou prenne en charge cette question de la représentation me semble dans l'ordre des choses. Par ailleurs, peut-être que j'ai vieilli tout simplement et qu'il y a un travail que je n'ai pas vraiment fait avec mes enfants. Une histoire m'a été transmise de manière tout à fait naturelle par mes parents et mes grands-parents, mais je ne l'ai pas tout à fait bien transmise à mes enfants. Quand je vois mes parents et mes enfants je me dis que si nous ne l'avons pas fait, il y a quand même un travail à faire à cet endroit-là pour moi en tout cas.
Puis, c'est la nature du livre en tant que conte qui m’a incité à réaliser ce film. J'ai toujours eu l’impression au sujet des récits sur la Shoah que je savais quoi en penser, je connaissais les émotions, je n'avais pas l'impression d’avoir grand-chose à apprendre. Et le fait que jean Claude Grimberg ait fait ce conte, ça a l'air de rien mais c'est un geste très humble et très modeste qui pour moi est assez énorme. Quand on écrit des contes, les personnages n'ont pas de nom, les lieux non plus et je trouve que c'est extrêmement important. J'ai poussé ce processus parce que ce qui m'a fasciné c’est le geste du bûcheron et de la mère. Il n’y a pas de mention au mot juif, ni au mot allemand, il n'y a pas de nom. Ainsi quand vous dites que les juifs ont été tués par des Allemands etc d'une certaine manière vous dites aux juifs qu'ils sont des victimes et aux nazis que ce sont des tueurs mais ainsi vous dites à ceux qui ne sont ni juifs ni allemands qu’ils sont spectateurs de cette histoire, que ce n'est pas leur histoire.
Quand vous enlevez tous ces mots, et c’est la force du conte, vous dites qu’il y a juste des hommes et des femmes qui ont tué et d'autres qui ont été courageux. À ce moment-là, chacun peut se connecter à cette histoire qui n'est pas une histoire entre juifs et allemands mais qui concerne l’humanité entière.
L'humanité a été à ce point-là. C'est important d'élever cette histoire à une sorte d'universalité. Je trouvais que c'était très nouveau, je ne l'avais jamais attendu mais ça a changé beaucoup de choses. Et le fait est que j’ai diffusé cette histoire aux gamins quand j'en ai fait la promotion en France. J'ai fait de nombreuses projections pour les établissements scolaires. Tous les enfants d'où qu’ils viennent, qu’ils soient musulmans, africains, nord-africains, asiatiques, ont tous été connectés à cette histoire alors même qu'on était dans une sorte d'hystérie relative à la question des juifs de la shoah, d’Israël. Tout le monde mélangeait un peu tout etc, c’était un sujet sensible. Pourtant il n'y a jamais eu aucun problème et au contraire les jeunes connectaient avec ce conte.

London Macadam : pourquoi avoir choisi le format du dessin animé ?
Michel Hazanavicius : J’ai choisi ce format pour plusieurs raisons. Tout d'abord, c'est le fait de ne pas travailler avec des acteurs. Je ne pouvais pas demander à des acteurs de prétendre qu'ils étaient dans un wagon de déportés car j'ai un problème avec le hors champs c’est la dire derrière la caméra.
Quand vous voyez un acteur, en tant que spectateur, vous savez pertinemment que c'est un acteur mais il y a ce que l’on appelle la suspension de l'incrédulité c'est-à-dire vous acceptez de croire à ce qu'on vous raconte.
Il y a des problèmes de morale qui se posent à moi et il y a un vrai risque d'obscénité de faire du show, de jouer avec ces destins-là.
Quand vous regardez les images, ce sont des gens qui sont dans les trains qui sont représentés. Mais si vous imaginez de vrais acteurs, vous savez très bien hors champ qu’il y a une table avec des barres de chocolats, des fruits, de l'eau et donc vous avez la conscience de cela. Il y a quelque chose d’un peu gênant et c'est-à-dire que tout d'un coup le mensonge apparaît. Personnellement, je ne suis pas confortable avec cette idée.
L'animation n'a pas ces problèmes-là, l'animation ne ment pas. L'animation est une proposition de représentation unique, les dessins n'ont pas de vie ailleurs et donc ils ne mentent pas. Il n'y a pas de mensonge dans le dessin animé.
Donc paradoxalement, alors même que c'est beaucoup plus loin du réalisme, le fait que ça ne mente pas me permet de me rapprocher d'une forme d'accession à la vérité.
Par ailleurs, on dit à juste titre que cette histoire est indicible. Cette histoire concerne l'horreur qu’on ne pourrait pas montrer, cela concerne aussi le nombre c'est-à-dire que vous ne pouvez pas raconter 6 millions de décès ou chacun mériterait des milliers d'histoires. On s'adresse à des enfants, il y a une responsabilité entre le mensonge et l’impossibilité de tout dire. La seule voix, c'est la suggestion, l'évocation par l'animation.
London Macadam : Justement pouvez-vous nous parler des difficultés de réalisation d'un film d'animation. Vous avez dessiné tous les personnages, vous avez achevé le film d’animation après cinq ans de travail. Racontez-nous cette aventure.
Michel Hazanavicius : C’est une longue aventure durant laquelle j’ai rencontré les difficultés dues au processus de création du dessin animé que moi je ne connaissais pas puisque je n'en avais jamais fait. Normalement les réalisateurs de live action movie s’adressent à un réalisateur d'animation ce que j'ai essayé de faire. Mais ça ne marchait pas donc j'ai décidé de le faire moi-même parce que je voulais contrôler le dessin et réaliser moi-même le film. Cela ne m'intéressait pas de le déléguer donc évidemment je me suis retrouvé à tâtonner, à commettre des erreurs, des retours en arrière, je me retrouvais à la tête d'une machine que je ne connaissais pas vraiment. Chaque étape prenait un temps fou. De plus, je faisais des étapes sans vraiment connaître la suite, c'était un peu compliqué mais la force du récit a permis à l'équipe de rester soudée jusqu'au bout.
D’autre part, il y a la difficulté de la représentation, de ce dont on parlait plus haut c'est-à-dire qu'il faut essayer de trouver le trait juste pour représenter quelqu'un qui sort des camps.
On rencontre aussi la difficulté de dessiner ce désespoir, cette détresse ou cette tragédie. Il y a dans l'animation le risque d'aller vers du cartoon, d'aller vers des choses qui arrondissent un peu les angles ou d'en faire trop.
Toute la difficulté était d'essayer de trouver la bonne distance par rapport à ce que l'on raconte.
London Macadam : C'est un dessin animé optimiste puisqu'on y voit la notion de Juste : “qui sauve une vie sauve le monde entier”
Michel Hazanavicius : C'est ce qui m'a beaucoup plu aussi dans le livre, j'avais pour idée de transmettre cette vision optimiste.
Ce n’est pas une longue prière pour les victimes, ce n'est pas non plus une analyse clinique de comment on en arrive à être un bourreau etc. c'est la célébration du geste du bien. C’est optimiste, on a tous un libre arbitre, on a tous la possibilité de faire le choix d'être une bonne personne et c'est très optimiste, on a besoin de modèle comme cela.
L'histoire raconte les choix de vie c'est-à-dire que ce bûcheron, au départ, baigne dans l'antisémitisme environnemental. Puis, il va concrètement faire le choix d’être un juste, aidé par cette gamine et par sa femme.
Malgré le fait que l’histoire se passe dans un environnement tragique, le film est profondément optimiste, tourné vers la vie et vers la lumière.
London Macadam : on a admiré l'équipe des acteurs et particulièrement la voix de Jean-Louis Trintignant. Comment s'est passé le travail avec lui?
Michel Hazanavicius : Cela a été l'évidence pour moi dès le début. Je souhaitais garder un narrateur pour le conte qui commence par “il était une fois ». J’ai tout de suite pensé à Jean-Louis même si dans la production on m’a découragé en me disant « il est très âgé puisque plus de 80 ans »… Au contraire, je trouvais très beau d'avoir ce texte écrit par Jean-Claude Grinberg, sachant que son père avait été déporté quand il avait quatre ans puis qu’il avait écrit 60 ans sur ce sujet d'une manière ou d'une autre. Enfin, à l’âge de quatre-vingts ans, il a écrit ce conte, un texte très simple et modeste qui s'adresse à des enfants. Et je trouve cela touchant et juste que ce soit la voix mûre de Jean Louis Trintignant qui s’adresse aussi à des enfants.
Il y avait de sagesse qui se transmettait. Il était presque aveugle donc c'est sa femme qui lui a lu le texte, il a adoré, m'a appelé et m’a donné son accord. Il savait je crois que c'était son dernier engagement et pendant le film je sais qu'on lui a proposé des films qu’il a refusés, Jean Louis a appris par cœur le texte avec l'aide de son épouse, puis on l’a enregistré, comme un testament moral très beau.
London Macadam : pouvez-vous nous parler du Choix de la Musique, des morceaux choisis…
Michel Hazanavicius : La musique est composée par Alexandre Desplat, compositeur très talentueux qui a mis beaucoup de soins et d'attention à ce projet. Lui-même disait “je ne veux pas que la musique laisse des traces dans la neige”.
Il y a également deux morceaux déjà existants, une comptine en yiddish qui est chantée par Marie Laforêt « miel et amande » ( nom français).
À la fin, l’autre morceau existant, c'est les Barris sisters, du folklore Yiddish américain, une musique beaucoup plus entraînante. Je voulais finir sur une note joyeuse alors c'est certes une joie empreinte d'une certaine mélancolie mais aussi une manière de donner une direction, qui impose de chanter, danser, guérir, vivre quoique nous ayons traversés…
Merci Michel Hazanavicius!
CineLumiere @ifru
Interview réalisée par Eva Zuili Mimoun
Special Screening of "The Most Precious of Cargoes" Monday, 28 April
An acclaimed movie in remembrance of Yom Hashoa. In French with English subtitles. Join them for a special screening of The Most Precious of Cargoes in a private screening room at The Mayfair Hotel in London. Don’t miss this unique opportunity to experience an unforgettable film event in the presence of the family who inspired the book on which the film is based. Book your seats now! : https://www.eventbrite.co.uk/e/projection-speciale-de-la-plus-precieuse-des-marchandises-tickets-1296226100159?aff=oddtdtcreator
Comments